Pourquoi je kiffe la science?

On 13.05.2013, in communiquer, by Alan

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J’ai adoré lire les billets qui m’ont précédé dans cette chaîne… SirtinPourquoi Comment CombienÇa se passe là hautle Webinet des curiositéstout se passe comme si, Pourquoi le ciel est bleu… Presque tous ont en commun de placer l’origine de leur kiff dans l’enfance.

De mon côté, ça pourrait avoir l’air un peu différent: mon engouement n’a démarré que vers 30 ans, mais au fond, je crois que c’est bien la même histoire. Un petit détour par mon curriculum chaotique s’impose.

open_ampli_tunerComme beaucoup d’enfants, j’étais hyper curieux, je voulais comprendre pourquoi, comment, combien… Je démontais les appareils et je harcelais les adultes pour savoir à quoi servaient les transistors, les résistances, les bobines et autres machins qu’on y trouvait. Puis je tentais de les remonter, sans jamais trop y parvenir. Il me restait systématiquement 2 ou 3 vis orphelines et les appareils finissaient par changer de vocation.

Vinrent les premiers PC. J’avais 10 ans en 1981. Mon père a beaucoup hésité avant de me laisser y toucher… J’ai dû jurer de ne pas dégainer mon tournevis. Et là, j’ai trouvé de quoi assouvir ma curiosité quelques temps…

Dans un autre contexte, je serais peut-être resté ce gamin curieux toute ma vie. Dans ma réalité, c’était compliqué. En grandissant, je me suis rendu compte que je vivais dans une famille à problèmes. Long story short, je me suis épuisé à essayer de satisfaire des fous, je suis passé à côté de ma scolarité (il faut dire quel celle-ci n’a pas vraiment su m’accrocher non plus…), j’ai loupé l’initiation aux savoirs et je me suis retrouvé un beau jour plongé dans une vie d’adulte que je n’ai pas vu venir, sans trop comprendre ce qui m’arrivait.

Tout cela ne m’a pas empêché de fonder une famille, de faire carrière (dans l’informatique, forcément!), de réaliser quelques rêves, mais toujours avec un arrière-goût amer et un sentiment envahissant d’être passé à côté de quelque chose… J’aime apprendre, j’aime comprendre, je ne pouvais pas rester inculte toute ma vie…

D’abord, apprendre à lire

Voltaire

Seul le savoir peut éclairer la raison

Petit à petit, le naturel est revenu au galop, j’ai commencé par la littérature. Fermement décidé à me doter d’une culture générale, j’ai lu les classiques que j’avais négligés, particulièrement les Lumières, et j’ai vite senti que ce goût amer s’adoucissait un peu. Pourtant plus j’avançais et plus je me rendais compte que je ne savais rien… Et que je ne saurais jamais rien, face à l’infinité des connaissances, mais je m’en foutais. Mon but désormais n’était plus la culture générale, mais la variété de perspectives qu’offraient les auteurs, la diversité des visions du monde.

Un beau jour, par hasard au début des années 2000, j’ai entendu à la radio ces statistiques effarantes quant au pourcentage d’Américains croyant à une interprétation littérale de la genèse pour expliquer l’origine du monde. US_creationism_mapJe me suis d’abord indigné dans mon coin: comment pouvaient-ils croire à ces balivernes plutôt qu’à l’évolution pour expliquer l’origine des espèces par exemple? Puis je me suis un peu calmé… Pourquoi “croyais-je” moi même à l’évolution? Qu’avais-je compris de ses mécanismes qui la placeraient sur un autre plan que la croyance dogmatique? Le constat fut sans appel: je n’étais pas intellectuellement équipé pour en comprendre les mécanismes. Je me situais dans le même registre de pensée que les créationnistes: celui de la croyance. Et ça m’a vraiment perturbé. Il était temps que je commence mon éducation scientifique!

Lire la science

Ma famille compliquée ne m’a heureusement pas laissé que des emmerdements en héritage. Si mon père m’avait transmis sa passion de la musique et son intérêt pour l’informatique, ma mère – originaire du Yorkshire – m’avait transmis sa langue maternelle. Et pratiquer l’anglais couramment quand il faut s’attaquer à la science sans aucune espèce de background est une véritable bénédiction… J’ai commencé par les biologistes, Richard Dawkins, Neil Shubin, Stephen J Gould, Charles Darwin lui-même, les athées militants, Christopher Hitchens, Sam Harris, des auteurs généralistes, Simon Singh, Matt Ridley, des sceptiques comme Michael Shermer, puis j’ai élargi le registre avec Brian Greene, Stephen Hawking, Carl Sagan, Timothy Ferris, sans oublier les inclassables comme Walter Alvarez et Bill Bryson (et son extraordinaire A Short History of Nearly Everything). Il ne s’agit que de quelques-uns des auteurs que j’ai engloutis, ceux qui m’ont le plus marqué, la liste est loin d’être exhaustive… Petit à petit, j’ai compris ce qu’est la science, comment elle fonctionne… Elle est cette démarche complètement contre-intuitive qui consiste à admettre qu’on peut être trompés par nos sens et par nos croyances. Qu’on ne peut comprendre les phénomènes vraiment qu’en se basant sur des faits. Et que si les faits ne confirment pas ce qu’on pense, alors, il faut revoir sa manière de penser. Qu’il n’y a pas de vérité unique. Qu’on ne peut pas tout expliquer. Qu’il faut bien admettre que tout n’a pas de sens. Tout ce qu’on peut faire, c’est remettre un trilliard de fois l’ouvrage sur le métier, essayer de comprendre la réalité petit bout par petit bout, chaque question conduisant bien sûr à d’autres questions et très rarement à des réponses. Ce mécanisme – qui se remet sans cesse en question- pourrait sembler inefficace, c’est pourtant grâce à cette approche modeste qu’on a percé quelques-uns des secrets les mieux gardés de l’univers…

Exit la pensée magique, le besoin de se rassurer, le désir fou de trouver du sens pourtant si constitutifs de notre espèce. On se confronte à la réalité telle qu’elle est. Et de là naît la vraie magie. Même si la démarche conduit à plus de questions que de réponses, les quelques réponses ont conduit aux technologies qui nous permettent de faire jaillir la lumière d’une simple pression du doigt, de communiquer en temps réel avec le reste de l’humanité, de faire voler les avions, de nourrir plus d’individus que la Terre ne le permet, de vivre mieux et plus longtemps.

En partageant un bout de leur univers, ces auteurs ont aiguisé mon raisonnement critique, j’ai appris à poser les bonnes questions, à distinguer l’info de l’intox, le savoir de la croyance. D’ailleurs, j’ai compris que je ne suis pas obligé de croire qui que ce soit ni quoi que ce soit. Le savoir scientifique se construit brique après brique et conserve une trace de toutes les étapes. En cette ère extraordinaire du web, je peux accéder aux travaux de chacun en quelques clics (parfois quelques dollars aussi, mais c’est un autre problème) et me faire une idée par moi-même. Et quand je m’attaque à un article scientifique, je dois parfois bosser très dur avant de tout capter, mais l’info est là, la démarche est complètement transparente.

Un projet humain formidable

J’ai surtout découvert que la démarche scientifique est sans doute l’une des plus belles choses que l’esprit humain ait mises au point. Vous pouvez me traiter de grand sensible… La science m’a redonné foi en l’humanité!

cramoisiBien sûr, il y a des dérives, des récupérations, des tricheries, des querelles de clocher… La science est faite par des humains! Elle est imparfaite et le sera toujours. Et c’est aussi pour cela que je la kiffe. Exit aussi les idéaux de perfection inaccessibles, on fait avec ce qu’on a et ce qu’on est!

La science m’a permis de comprendre pourquoi le ciel est bleu, comment se forment les espèces et surtout combien j’avais besoin de renouer avec mon âme d’enfant. De rester ou plutôt redevenir le Petit Prince qui n’oublie jamais une question une fois qu’il l’a posée plutôt que continuer ma lente mais certaine transformation en donneur de réponses, tels le vieux monsieur cramoisi, l’allumeur de réverbères, le poivrot ou le monarque, tous abrutis par leurs certitudes…

Je ne sens plus aujourd’hui ce grand manque au goût amer qui me hantait autrefois. Et ce n’est pas parce que je sais des choses… Même si je sais aujourd’hui que certains infinis sont plus grands d’autres, l’étendue de mon ignorance dépasse toujours le domaine du mesurable. Mais j’ai renoué avec ma curiosité, je sais que l’humanité est entre de bonnes mains, je trouve des questions satisfaisantes à mes questions, et tout ça me fait kiffer grave!

petit_prince